Christian Ben Lakhdar est professeur en économie à l’université catholique de Lille. Il est l’auteur, avec David Weinberger, d’une étude parue dans «Du marché du cannabis au marché du THC en France» (1).
Quels seraient les avantages d’une légalisation contrôlée du cannabis ?
D’abord, on économiserait une partie des coûts provoqués par la répression du trafic, soit potentiellement de 500 millions à 600 millions d’euros par an. Mais la variable importante à déterminer, c’est le prix de vente du cannabis dans un monopole d’Etat : s’il est trop élevé, le marché noir perdurera, et la répression aussi. S’il est trop faible, on risque une augmentation du nombre de consommateurs, donc des problèmes sanitaires plus importants, plus de morts liés au cannabis sur les routes, etc.
L’exemple de l’Uruguay, où la légalisation contrôlée doit entrer en vigueur cette année, peut-il être suivi ?
L’Uruguay a décidé de s’aligner sur les prix du marché. Pour moi, c’est une bonne idée. De ce fait, le consommateur lambda préférera acheter sur le marché légal, d’autant qu’il évitera ainsi les éventuels coups d’arnaque.
Il y a également la question de la qualité du produit…
Et de sa concentration en THC [l’un des composants actifs du cannabis, ndlr]. Actuellement, sur le marché noir, elle augmente. Si elle est limitée dans la vente légale, le risque est de voir le consommateur se détourner du cannabis légal.
Combien d’argent, avec une légalisation contrôlée, serait récupéré sur le marché légal ? Aux Pays-Bas, on retient que le système semi-légal des «coffee shops» a récupéré la moitié du trafic…
En France, on estime le chiffre d’affaires annuel du cannabis sur le marché noir entre 800 millions et 1 milliard d’euros. On peut s’attendre à ce que les consommateurs actuels se tournent vers le marché d’Etat à hauteur de ce chiffre. Mais on n’a aucune idée du coût de production ni du bénéfice éventuellement généré. Et quelle sera la fiscalité ? Appliquera-t-on la TVA sur le cannabis ? Ou le taxera-t-on comme le tabac, à 80% ? Si oui, son prix risque d’être plus élevé que sur le marché noir, d’où un risque. Mais, de toute manière, il ne faut pas chercher une manne financière dans un éventuel monopole d’Etat. Dans tous ces domaines, l’expérience de l’Uruguay va beaucoup nous informer. Ce pays veut produire de l’herbe de qualité, autorise l’autoculture et refuse de vendre aux étrangers pour éviter le narcotourisme : tout cela me semble bien pensé.
En cas de légalisation, que feraient les dealers ?
Aucune idée ! L’espoir, c’est évidemment que le petit dealer vienne travailler dans la coopérative publique. Mais quand on examine la «ruée vers l’or vert» dans les Etats américains de Washington et du Colorado [qui légalisent également cette année], on s’aperçoit que les opérateurs sont des financiers, des hommes d’affaires légaux ou des étudiants sortis d’écoles de commerce, plutôt que des dealers arrivant du marché noir. Et le risque, c’est que face à une concurrence légale, les réseaux criminels se rabattent sur d’autres activités illégales, style cocaïne, puisque c’est leur spécialité.
(1) Revue française de socio-économie, 2011, La Découverte/cairn.info