La double peine d'une mère de dealer

Soft Secrets
20 Oct 2013

Privée de toit par les HLM


Privée de toit par les HLM

Boulogne-Billancourt, le 9 octobre. (Photo Marc Chaumeil)

REPORTAGE

A Boulogne-Billancourt, une Malienne, dont le fils était impliqué dans un trafic de cannabis, doit quitter son logement pour troubles de voisinage.

«C’est mon bébé, même s’il a fait des bêtises. Mais tout le monde va payer à cause de lui.» Kouta Dembaga a le souffle coupé, l’air de quelqu’un dépassé par ce qui lui arrive et les mains pleines de vêtements. Elle devait les donner à son fils Médiba, 24 ans, incarcéré pour trafic de drogue. La veille, il a fait un malaise à la prison de Fresnes ; elle a passé l’après-midi à le chercher à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, dont il était déjà reparti. «Je suis fatiguée et inquiète. Maintenant cet appartement est plein de malheurs», murmure cette femme aux élégants bracelets d’or plaqué, une verticale bleue tatouée sur le front. Décidément, le 8 octobre n’a pas été un jour comme les autres pour cette mère de sept enfants, née il y a une cinquantaine d’années au Mali.

Après un premier procès qui lui avait donné raison en 2011, la cour d’appel de Versailles a prononcé la résiliation de son contrat de location, demandée par le bailleur social Hauts-de-Seine Habitat. En avril, à la fin de la trêve hivernale, elle devra avoir quitté ce HLM du square des Moulineaux, à Boulogne-Billancourt, sous peine d’en être expulsée. Elle ne partira pas seule. Dans ce cinq pièces rose bonbon qu’elle habite depuis 1990 - «J’ai toujours payé mon loyer» -, vivent aussi une de ses filles, Sira, et ses deux petits-enfants de 13 et 5 ans. Kouta Dembaga a été jugée responsable des troubles de voisinage liés au trafic de drogue en bas des immeubles. Du bruit, des menaces et des embrouilles au quotidien générées par les activités de Médiba, désormais persona non grata.

Mari parti. Gigantesque quadrilatère de sept étages (1 000 appartements), ces hautes barres de brique couleur sable du square des Moulineaux racontent deux histoires des Hauts-de-Seine. Celle des ouvriers Renault de Billancourt, dont faisait partie le mari de Kouta Dembaga, parti avec sa seconde femme il y a une dizaine d’années. Celle aussi des dealers et des chômeurs, dans ce coin de Boulogne qui n’a pas grand-chose à voir avec les quartiers au nord, plus huppés. Quand on lui apprend la nouvelle, Ginette, une vieille dame qui rentre des courses, s’attriste de savoir qu’une famille va payer un prix si élevé, «mais il paraît qu’il y avait de la drogue». Pour James, intermittent du spectacle qui a grandi aux Tarterêts, une cité sensible de Corbeil-Essonnes, «ici c’est le côté "social" de Boulogne, mais en fait c’est une fausse cité». «Ici c’est pas des bandits, dit Sadio Dembaga, grande sœur de Médiba, juste des petits vendeurs de shit. Boulogne c’est pas le 93 ! Mon frère n’était ni une terreur ni un richard, comme les journaux l’ont dit. Franchement, j’aurais dû faire du business moi aussi, au moins j’aurais été expulsée pour quelque chose.»

Voyage. A moins que les Dembaga se pourvoient en cassation, ce qui ne semble pas prévu, c’est là l’épilogue d’une affaire commencée le 8 juin 2009, date de l’arrestation de Médiba, déjà majeur à l’époque. Du matériel de préparation, ainsi que quatre plaquettes et une centaine de barrettes de résine de cannabis avaient été découverts dans sa chambre, pendant que 1 040 euros étaient trouvés dans celle de Kouta Dembaga - somme prévue pour un voyage au Mali selon elle et qui lui a depuis été restituée.

Selon l’arrêt de la cour, «quelle que soit la situation personnelle, la locataire est responsable des agissements de son fils en tant qu’occupant, responsabilité qui ne peut être effacée ni diminuée par l’évolution apparemment positive de son fils ou son départ des lieux». «Il n’y a plus un Dembaga en bas, clame Sira Dembaga, pour qui la décision du tribunal arrive à contretemps. Par contre il y a encore des dealers, et leur famille peut rester.» C’est ce qu’a défendu l’avocat de la famille, Philippe Châteauneuf, qui évoque une disproportion de la sentence.

«Il y a dix ans c’était chaud, mais ça s’est calmé, témoigne un des rares gardiens des Moulineaux à bien vouloir discuter. Le problème, c’est qu’à cause de la presse, la cité a une mauvaise image. Les nounous par exemple ne trouvent plus d’enfants de l’extérieur à garder.»

Christian Dupuy, président de l’office HLM des Hauts-de-Seine, se félicite de la décision tout en jurant que la famille Dembaga ne sera pas jetée à la rue. «Il ne faut pas minimiser les risques non plus, bien souvent les délinquants réapparaissent», continue-t-il.

«Notre position est claire, commente Michel Fréchet de la Confédération générale du logement. Soit les familles sont jugées complices des enfants ; soit elles ne le sont pas et alors nous les soutenons.»

Jean-Baptiste Eyraud (Droit au logement) estime «qu’avant toute procédure d’expulsion il faut trouver des solutions alternatives de relogement et des formes de prévention, surtout si des mineurs sont concernés». Alors que la famille n’a pas les moyens de louer dans le secteur privé, il lui sera difficile de se faire reloger dans le parc public après une telle condamnation. L’une des deux filles de Kouta Dembaga prévient qu’elle s’installera dans la mairie de Boulogne, l’autre prédit «le bazar» si la famille est expulsée. Aux Moulineaux, une autre famille dont l’un des membres est impliqué dans un trafic de stupéfiants doit être fixée sur son sort le 29 octobre.

Pierre BENETTI

Source: www.liberation.fr
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