Jean-Luc Garcia,  l'ex-hippie devenu gendarme

Soft Secrets
14 Oct 2015

INTERVIEW


INTERVIEW

Un gendarme dans Soft Secrets ! Beaucoup d'entre nous ont eu une mauvaise expérience avec les forces de l'ordre et gardent une image plutôt négative de cette corporation. Mais Jean-Luc Garcia est un cas à part. Cet ex-gendarme, consommateur de cannabis et partisan de la légalisation, avait déjà fait parler de lui dans les médias en 2012 en publiant une lettre ouverte au président Hollande. Il l'était à l'époque encore en activité et sont statut l'avait obligé à garder l'anonymat. Aujourd'hui à la retraite, Jean-Luc Garcia peut enfin dévoiler son identité. Il a récemment envoyé une deuxième lettre à François Hollande, toujours pour demander la légalisation du cannabis.

Soft Secrets France : Pourrais-tu expliquer à nos lecteurs ce qui t'a donné envie de devenir gendarme ?

Tout d'abord, je veux vous remercier de me laisser me présenter brièvement et m'exprimer dans Soft Secrets sur la légalisation du cannabis en France et sur l'autoproduction individuelle ou associative telle que je l'imagine et la souhaite depuis bien longtemps. Bien entendu, j'exprime ici une opinion personnelle qui ne reflète en rien la position de la gendarmerie sur le sujet. J'espère toutefois que mon témoignage, si possible joint à beaucoup d'autres, sera de nature à faire évoluer l'opinion publique sur le cannabis.

La gendarmerie est une institution qui m'était totalement inconnue. J'avais en revanche une petite expérience militaire puisqu'à mon époque le service obligatoire était encore en vigueur. Vers 35 ans, marié, un enfant, j'ai été licencié économique suite à la faillite de la petite entreprise dans laquelle je travaillais. Je décidai alors de rentrer dans l'administration - n'importe laquelle de préférence - espérant ainsi pouvoir sereinement assumer mes responsabilités familiales. Par le plus grand des hasard, j'ai eu l'occasion d'entrer dans une brigade de gendarmerie et d'y apercevoir l'affichage concernant le recrutement. En 1993 : minitel 3614 code gendarme. Ensuite, ça a suivi son cours : je passe le concours, ma candidature est agréée, j'entame ma formation en décembre 1994, soit trois mois avant l'âge limite de 36 ans.

Quels sont les différents postes que tu as occupés ?

Je choisis en sortie d'école d'être affecté dans un escadron de gendarmerie mobile en région parisienne : ce sera Drancy. Les missions de la gendarmerie mobile sont extrêmement variées et avant tout axées sur l'ordre public et la sécurité générale sur le territoire métropolitain et dans les DOM-TOM. Je suis resté 13 ans dans la même unité puis, pour des raisons personnelles et familiales je me suis orienté vers un emploi sédentaire à Paris pendant près de 7 ans. Au terme de ces vingt ans passés dans cette belle institution, la plus ancienne de France, j'ai fait valoir mon droit à la retraite et me suis retiré à la campagne où nous possédons une petite maison avec jardin.

As-tu suivi une formation spécifique sur la lutte contre le stupéfiants ?

Il existe une formation spécifique sur les stupéfiants ouverte aux enquêteurs volontaires ; je n'étais ni concerné ni intéressé. En gendarmerie, c'est simple, le discours de la hiérarchie, quelque soit son niveau, c'est le respect des lois. Je n'ai jamais senti parmi mes collègues d'acrimonie particulière à l'encontre des cannabinophiles de tout poil. Bien évidemment, ici comme ailleurs on ne peut pas généraliser, il y a le vécu, le quotidien, la sensibilité et la personnalité de chacun ; comme dans la société civile, dont la gendarmerie est le reflet, on y trouve les antis, les pros et les indifférents.

T'es-tu déjà trouvé gêné en participant à des opérations ou à des arrestations que tu trouvais injustes ?

Comme je le précisais plus haut, gendarme mobile je n'ai jamais été directement concerné par les missions de police judiciaire. Dans mon cas, les seuls contacts directs que j'ai eu avec les personnes interpellées c'était, lorsqu'elles étaient incarcérées qu'il fallait les escorter jusqu'au tribunal ou dans le cabinet d'un juge. J'ai toujours eu à coeur d'établir avec ces personnes un contact humain et de discuter avec elles. Ces discutions bien qu'intéressantes ne me permettaient naturellement pas d'avoir une idée bien objective sur le dossier et de me faire une opinion sur le coté juste ou injuste de l'affaire. La chose qui m'a cependant émue, mais c'est loin d'être un scoop, c'est que j'avais plus souvent affaire à des gamins paumés de cités qu'à ceux des quartiers huppés de notre région capitale.

Ou gêné en écoutant le discours de certains collègues que tu ne pouvais pas contredire ?

Je ne me suis jamais senti gêné en écoutant le discours de certains collègues que je ne pouvais pas contredire pour la bonne raison que j'ai toujours contredis, en y mettant les formes, les propos que je jugeais faux, absurdes ou outranciers d'où qu'ils viennent. Les gens stupides qui profèrent ce genre de propos brillent généralement par l'absence de réflexions profondes et d'arguments sensés. Force est de constater toutefois que s'agissant des petits fumeurs et des petits planteurs de cannabis en France métropolitaine ou dans les DOM-TOM, je n'ai que très rarement entendu de tels propos. Je le répète : je n'ai jamais senti d'acrimonie particulière à l'encontre des cannabinophiles de tout poil. De plus, rares étaient mes collègues ou mes chefs qui ignoraient ma position au sujet de la légalisation du cannabis. Je les sentais en réalité plutôt démunis face à mes arguments, notamment ceux d'ordre juridique, qu'agressifs à mon égard.

Quand a tu commencé à consommer du cannabis ?

J'ai commencé à consommer du cannabis vers 17 ans. Nous étions alors une bande de copains "baba cool", des hippies comme nous appelaient les vieux de l'époque. Beaucoup de choses étaient alors liées, l'amitié, l'envie de vivre dans un autre monde plus juste, plus orienté vers la nature, l'amour et le partage, la musique, les voyages - certains en auto-stop en ce temps là - bref tout un milieu, tout un contexte culturel où le cannabis, les cheveux longs, les vêtements colorés et le patchouli étaient de la partie. En prenant de l'âge, le patchouli, les vêtements colorés et les cheveux longs ont disparu... L'envie de vivre dans un monde plus juste, orienté vers la nature, l'amour et le partage, la musique, les voyages et le cannabis sont toujours là. Ils font partie de ma personne et ne disparaîtront probablement pas avant mon dernier souffle.

Qu'est-ce que t'apporte la consommation de cannabis ?

Au fil des époques, des épreuves et des joies, seul, avec ma chérie ou entre amis, le cannabis m'a toujours accompagné avec bonheur. J'aime son odeur et ses effets sur moi et je l'apprécie d'autant plus que j'ai maintenant le rythme de consommation qui me correspond le mieux. J'en consomme assez rarement et privilégie la qualité, c'est dire que je ne suis pas adepte du shit ou de l'herbe de cité.

As-tu rencontré d'autres collègues consommateurs ?

Comme tu peux l'imaginer le sujet est relativement tabou dans les rangs puisque le cannabis est prohibé. J'ai toutefois constaté à plusieurs reprises que certains collègues n'avaient pas une approche trop négative du sujet, voire même quelques petites phrases ou expressions significatives qui m'ont fait soupçonner qu'eux mêmes ou quelques uns de leurs proches étaient des consommateurs ou des cultivateurs. Sincèrement mais sans pouvoir quantifier le phénomène,je ne crois être ni le premier ni le seul fumeur de cannabis en gendarmerie.

Pourquoi avoir écrit une lettre à François Hollande ?

Le Président de la République est le premier personnage de l’État, il peut initier, si bon lui semble, le débat politique autour de cette question. En 2012, lors de l'accession au pouvoir de François Hollande j'ai donc écrit une première lettre qui était avant tout destinée à être publiée pour sensibiliser le plus large lectorat possible. Encore gendarme à cette époque, je ne pouvais pas exprimer publiquement mes convictions sur le sujet et souhaitais malgré tout utiliser l'image positive de la gendarmerie – sérieux et honnêteté - pour donner plus de force et d'originalité à mes propos. J'ai choisi la lettre ouverte anonyme bien que, par principe, je n'aime pas beaucoup l'anonymat. Il y a quelques mois, enfin à la retraite et observant que rien n'avait évolué dans le bon sens, j'ai écrit une seconde lettre à François Hollande, lettre signée que je lui ai envoyée par l'intermédiaire du site de l’Élysée, elle faisait mention de la première. Je l'ai ensuite publiée sur ma page Facebook et constate avec plaisir qu'elle a largement été partagée et reçu de nombreux avis très favorables de la part des gens sensibilisés à la question de la légalisation du cannabis médical ou récréatif. 

Y a t-il un événement particulier qui t'a poussé à franchir le pas ?

Oui, c'était un reportage diffusé sur M6 qui m'a beaucoup choqué et interpellé quant aux dégâts générés par la répression quand elle est appliquée sans discernement. On y voyait une opération menée par la gendarmerie dans le sud de la France (dans le Mercantour NDLR). De gros moyens étaient déployés, un hélicoptère avec quatre ou cinq personnels à bord et une vingtaine de gendarmes au sol en liaison radio. Après plusieurs heures de patrouille, et tout le monde a plus ou moins une idée du coût horaire d'un hélico, le résultat était lamentable. J'y ai vu quinze ou vingt gendarmes, chez un homme vivant retiré dans une vieille ferme, perquisitionner, arracher des pieds de cannabis...Et le commentateur du reportage qui présentait cette opération minable comme un fait d'arme exceptionnel. Mon sang n'a fait qu'un tour et j'étais en colère. D'abord, parce que je ne suis pas un délinquant, même si j'aime le cannabis, ensuite parce que je ne suis pas devenu gendarme pour me battre contre des fleurs !

Penses-tu que les membres de l'ordre doivent participer au débat sur la légalisation ?

Je crois qu'il y a un travail intéressant à faire du coté des professionnels du droit, de la police et de la gendarmerie qui, je pense, en ont assez de courir derrière de simples consommateurs ou des cannabiculteurs pour peu de choses. Je ne crois pas que les gendarmes et policiers de terrain, ceux qui font réellement le travail se satisfassent des heures de boulots, de patrouilles, de perquisitions, de procédures, de garde à vue à l'encontre de gens qui ne font qu'user d'un droit naturel, d'une liberté individuelle sans nuire à personne. Cette situation ne correspond pas à l'idée que la plupart se font de leur métier. Ils subissent également ce système injuste et ridicule. La solution que je préconise est sans conteste la légalisation. Elle seule permettra un contrôle de la qualité des produits, elle seule permettra l'auto-culture et elle seule sera conforme à l'idée que je me fais de la liberté individuelle.

Pour moi, ces libertés individuelles, chèrement acquises au fil des siècles sont fondamentales. Mon argumentaire s'appuie sur deux textes fondamentaux : la déclaration des droits de l'homme du 26 août 1789, qui est aujourd'hui le préambule à notre constitution, et le «principe d'autonomie personnelle» consacré par a Cour européenne des droits de l'homme.

Lettre ouverte à François Hollande: www.chanvrelibertes.org

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