Cannabis, stimulation de l'esprit et culture
Un dossier de Sensi Seeds
Un dossier de Sensi Seeds
L’expérience réelle procurée en fumant de l’herbe a été complètement obscurcie par un brouillard de grossièreté de la part d’une foule de charlatans sur le déclin qui n’ont même jamais vécu l’expérience eux-mêmes et insistent pourtant pour être au centre de la propagande à son sujet »
Allen Ginsberg, poète américain, 1926-1997
Une perspective déformée et faussée sur la marijuana
Après plus de 80 ans de prohibition pratiquement à l’échelle mondiale, notre perspective sur la marijuana et sur ses effets psychoactifs est en grande partie dominée par la peur, l’ignorance et la désinformation. Des douzaines de mythes circulent encore sur les effets néfastes de la marijuana, créés et répandus à dessin depuis maintenant des décennies. De nombreux activistes ont essayé de contester ces mythes et luttent pour obtenir la légalisation de la consommation de la marijuana ; mais même ces activistes à l’esprit libéral ont souvent honte de mentionner le potentiel bénéfique de la marijuana s’agissant de ses effets stimulants sur l’esprit. Il s’agit également d’un choix stratégique. Le débat politique tourne généralement autour de la volonté de prouver l’incroyable utilité du cannabis en médecine ou d’affirmer que la prohibition est nuisible à la société dans son ensemble. Je comprends cette stratégie ; les deux arguments sont vrais. Néanmoins, je pense que nous ne devrions pas continuer de nous taire lorsque vient la question des utilisations de la marijuana à des fins psychoactives.
Allen Ginsberg |
Pendant des millénaires, de nombreuses cultures ont utilisé le cannabis non seulement pour se nourrir, se vêtir, se soigner et bien d’autres raisons, mais également pour son potentiel psychoactif. L’histoire culturelle ancienne de l’Inde, par exemple, est inextricablement liée à l’utilisation du cannabis pour ses propriétés psychoactives. Pendant des siècles, bon nombre de sadhus indiens ont utilisé du cannabis pour se rapprocher de leurs dieux pendant la méditation. Les nombreux noms donnés au cannabis en sanscrit en font l’éloge : vijaya et jaya, (« victorieux »), virapattra (« la feuille des héros »), capala (« le cœur léger »), ananda (« le joyeux »), vakpradatava (« celui qui donne la parole »), medhakaritva (« inspirant des pouvoirs mentaux »).[1]
Il est temps d’aborder ouvertement cette question et de parler du potentiel de stimulation de l’esprit et de la vie qu’offre la marijuana. Quel est le potentiel bénéfique de l’état d’euphorie procuré par la marijuana en tant qu’état de conscience altérée ? Comment utiliser un état d’euphorie pour stimuler divers processus de pensée et activités mentales ? Que cela représente-t-il pour les uns et les autres ? Et quel impact positif a l’usage (et non l’abus) de marijuana en tant que stimulateur de l’esprit sur la culture et l’histoire humaine ?
Il est temps d’aborder ouvertement cette question et de parler du potentiel de stimulation de l’esprit et de la vie qu’offre la marijuana. Quel est le potentiel bénéfique de l’état d’euphorie procuré par la marijuana en tant qu’état de conscience altérée ? Comment utiliser un état d’euphorie pour stimuler divers processus de pensée et activités mentales ? Que cela représente-t-il pour les uns et les autres ? Et quel impact positif a l’usage (et non l’abus) de marijuana en tant que stimulateur de l’esprit sur la culture et l’histoire humaine ?
La marijuana comme stimulateur des fonctions cognitives
Dans mes deux ouvrages sur l’état d’euphorie procuré par la marijuana[2], j’ai avancé que cet état pouvait provoquer des changements systématiques au niveau de la cognition et de la perception dont les utilisateurs compétents et avertis pouvaient tirer parti de manière positive. J’ai tenté de mieux comprendre les nombreuses améliorations cognitives décrites maintes fois par des myriades d’utilisateurs au fil de l’histoire : hyperfocalisation de l’attention et sentiment accru d’être dans le « ici et maintenant » ; intensification des expériences sexuelles, s’accompagnant souvent d’une capacité accrue à distinguer même de subtiles nuances, et une amélioration de la mémoire épisodique et de notre faculté d’imagination ; emballement de l’esprit par association d’idées, stimulation de la pensée créatrice et amélioration des aptitudes de reconnaissance des formes ; amélioration de la capacité à prendre conscience par introspection de ses propres états corporels, mais également à appréhender de manière introspective l’humeur et le caractère d’une personne ; amélioration de la compréhension empathique et une faculté généralement décuplée à découvrir en profondeur toutes sortes de disciplines intellectuelles.
« Set and setting » (facteur personnel et facteur ambiant) et consistance des effets cognitifs
Comme l’ont souligné Timothy Leary et bien d’autres encore, l’état d’euphorie (ainsi que les états psychédéliques provoqués par des substances telles que le LSD ou la psilocybine) dépend largement du contexte personnel et ambiant de l’utilisateur, le « set and setting », dans lequel le « set » (facteur personnel) inclut, selon lui, la préparation de l’utilisateur, la structure de sa personnalité et son humeur. Le « setting » (facteur ambiant) est l’environnement physique encadrant l’utilisation de la drogue, mais également l’environnement social des autres personnes présentes au cours de l’expérience, ainsi que l’environnement culturel.
Sadhu |
Certaines des modifications cognitives basiques intervenant lors d’un état d’euphorie sous l’emprise de la marijuana sont plus prononcées et ne dépendent que très peu du contexte ambiant et personnel ; c’est le cas par exemple de l’hyperfocalisation de l’attention ou de l’intensification de diverses perceptions sensorielles. D’autres améliorations survenant pendant l’état d’euphorie sont plus complexes et dépendent davantage du « set and setting ». Vous n’obtiendrez probablement pas des perceptions introspectives particulièrement poussées si vous restez concentré(e) sur un jeu agissant sur l’égo du joueur pendant un état d’euphorie. À cet égard, j’ai toujours souligné que les améliorations cognitives sous l’emprise de la drogue n’obéissaient pas à un processus automatique ; la marijuana peut provoquer toutes ces améliorations, mais cela suppose de posséder certaines aptitudes et connaissances afin d’être en mesure de vivre des améliorations complexes, par exemple au niveau de la compréhension empathique, de l’introspection ou des perspectives. Autre point important, les utilisateurs doivent choisir avec soin leur environnement et apprendre quel dosage et quelle variété sont bénéfiques pour eux dans un certain état d’esprit et pour une certaine activité.
Les nombreux usages bénéfiques de l’état d’euphorie procuré par la marijuana
Au fil de l’histoire, bon nombre de consommateurs de marijuana sont parvenus à développer leurs aptitudes à utiliser la marijuana dans certaines circonstances afin de cibler spécifiquement certaines améliorations cognitives ou existentielles. Dans les débats qui ont lieu actuellement à propos des différentes applications de la marijuana, ces usages sont souvent rangés dans la catégorie fourre-tout des utilisations dites « récréatives » ou « inspiratrices ». De mon point de vue, ces expressions ne reflètent vraiment pas l’immensité des différentes utilisations possibles rapportées par les consommateurs de marijuana. Naturellement, de nombreux utilisateurs apprécient la marijuana pour la relaxation, pour le plaisir ou à d’autres fins « récréatives ». Ne sous-estimons pas cela, car c’est extrêmement important pour bon nombre d’entre eux. Artistes, écrivains, musiciens et autres ont également utilisé la marijuana pour trouver l’inspiration dans leur art, pour profiter pleinement de la vue d’un paysage ou pour générer toutes sortes d’idées. Là encore, ce genre d’utilisation est extrêmement important et a aidé bon nombre d’entre eux à développer leur art, à se développer en tant que personne ou à développer des idées précieuses dans de nombreux domaines de leur vie. Mais si l’on étudie de plus près comment ces utilisateurs expérimentés sont parvenus à pleinement intégrer dans leur vie et utiliser de manière positive et de tant de manières différentes l’état d’euphorie procuré par la marijuana, il devient clair que les termes « récréatif » et « inspiration » ne reflètent qu’une part infime des nombreux usages positifs possibles de l’énorme potentiel de cette plante.
Timothy Leary, psychologue de Harvard, (1920-96) |
Au cours de mes recherches pendant ces dix dernières années, j’ai lu des centaines de témoignages d’utilisateurs à propos de l’immense éventail d’applications possibles des effets cognitifs de la marijuana. Bon nombre d’entre eux expliquent que la marijuana leur permet d’être dans le « ici et maintenant », qu’ils se sentent mieux connectés aux autres et à leurs propres sensations, que la marijuana leur a permis de mieux comprendre leurs enfants, leur partenaire, d’approfondir les conversations et de consolider leur famille. Ils perçoivent davantage de nuances dans une peinture, ou élargissent subitement leur horizon musical ou artistique. Bon nombre d’utilisateurs apprécient leur capacité à explorer leur passé sous l’emprise de la marijuana, et à revivre des expériences et certaines sensations de l’enfance, et expliquent comment, grâce à cela, ils ont pu trouver des idées pour résoudre certains problèmes ou vaincre une addiction à l’alcool ou à d’autres substances. D’autres racontent en détail comment ils sont parvenus à vivre plus intensément leur sexualité et à être des amants plus empathiques. Ils deviennent des cuisiniers créatifs et proposent de nouveaux desserts, ils utilisent l’état d’euphorie pour reconnaitre des formes dans la musique, ou pour appréhender de manière introspective la manière dont ils mènent leur mariage, ou dont ils marchent, pour ensuite décider de changer leurs mauvaises habitudes pour toujours. Ils utilisent le ralentissement du temps dans leur perception pour vivre pleinement un moment infini de félicité lorsqu’ils nagent dans de l’eau thermale. Une personne illettrée décrit comment un état d’euphorie l’a aidé pour la première fois à lire des phrases entières, d’autres décrivent qu’ils peuvent mieux comprendre une langue étrangère. Dans la seconde partie de cet essai, je vous exposerai l’expérience de plusieurs consommateurs de marijuana célèbres pour révéler l’importance des propriétés stimulantes de la marijuana pour eux – et au travers de leur expérience et de leur travail, pour des millions de personnes.
Notes de bas de page
- Voir Jonathan Green (2002), Cannabis, Thunder’s Mouth Press, New York, p.48
- Voir Sebastian Marincolo (2010), High. Insights on Marijuana (Sous l’emprise de la drogue. Perspectives sur la marijuana), Dog Ear Publishing, Indianapolis et Sebastian Marincolo (2013) High. Das positive Potential von Marijuana. Tropen, Stuttgart.
- Timothy Leary, Ralph Metzner, Richard Alpert (1964/1992), The Psychedelic Experience. A Manual Based on the Tibetian Book of the Dead (Une expérience psychédélique. Un manuel basé sur le livre tibétain de la mort). Citadel Press, Kensington
Partie II
- Incontestablement, cette drogue est très utile pour l’artiste, elle active de nouvelles associations d’idées qui resteraient autrement inaccessibles et je dois directement à la consommation de cannabis de nombreuses scènes de Naked Lunch (Le Festin nu). »
William Burroughs, écrivain américain (1914-1997)
Les écrivains à propos de leur usage de la marijuana
Jack Kerouac, écrivain, 1922-1966 |
Artistes et musiciens à propos du cannabis
« Le tableau « Les femmes d’Alger » (1834) par Eugène Delacroix » |
Les Beatles |