La controverse du cannabidiol

Soft Secrets
29 Sep 2014

Un dossier de Sensiseeds


Un dossier de Sensiseeds


Dans la majeure partie du monde, le chanvre est légal alors que le cannabis demeure interdit. Même aux États-Unis, où sa culture est encore illégale, la vente et l’utilisation de produits à base de chanvre sont légales dès lors que leur teneur en THC n’excède pas un niveau spécifique – cela peut englober l’huile contenant du CBD, qui est peut-être la molécule présente dans le cannabis revêtant le plus grand intérêt médical.

Les extraits de CBD issu du chanvre inondent le marché

De nombreuses études ont démontré l’excellent potentiel du CBD
Un nombre croissant d’entreprises aux États-Unis et en Europe commercialisent désormais des huiles et des teintures à base de CBD, produit naturel extrait des fleurs de chanvre. Étant donné que les variétés de cannabis à faible teneur en THC (moins de 0,2 % en UE, et moins de 0,3 % au Canada) sont classées en tant que chanvre, et par conséquent légales dans la plupart des pays, la vente de ces extraits de CBD issu du chanvre est également potentiellement légale, bien que cela soit contesté. Dans tous les cas, leur vente pose un certain nombre de questions d’éthique, car ils ne sont soumis à aucune réglementation quant à leur innocuité et leur efficacité.

« Que les aliments soient ton remède, et les remèdes tes aliments » est une citation célèbre attribuée (peut-être à tort) au médecin grec Hippocrate ; de toute évidence, le lien entre la nutrition et la santé est connu depuis l’antiquité, et la médecine parallèle gagnant en popularité ces dernières années, rien d’étonnant qu’il soit de nouveau mis en avant. Le cannabis est un exemple parfait de plante présentant simultanément des propriétés nutritives et médicinales (et, plus important encore, les nutriments qui le composent fournissent leur propre effet curatif ou prophylactique), et le CBD a démontré dans le cadre de nombreuses études différentes son excellent potentiel, tant comme produit pharmaceutique qu’en tant que complément alimentaire. Mais son large éventail d’applications implique également un risque important de mise sur le marché de produits d’origine douteuse, libellés de manière ambiguë, et vendus habituellement comme complément alimentaire, produit cosmétique ou de phytothérapie.


Les huiles au CBD provenant du chanvre sont souvent extrêmement onéreuses, et les recherches et les essais cliniques nécessaires pour justifier leur prix ou leur efficacité revendiquée font souvent cruellement défaut. Ainsi, toutes les conditions sont réunies pour l’avènement d’une nouvelle race de charlatans, et tout porte à croire que certains s’enrichissent déjà de ce genre d’activité.

Statut juridique du cannabidiol

Aux États-Unis, le cannabidiol n’est pas spécifiquement mentionné au tableau des substances soumises à un contrôle, bien que le cannabis lui-même soit repris au tableau I, à l’instar du THC et de plusieurs cannabinoïdes synthétiques. La DEA a indiqué que le cannabidiol était inclus à l’annexe sous le code de substance affecté à la « marihuana » (7360), et que des procédures étaient en cours pour affecter un code unique au seul cannabidiol. Le code 7372 est déjà utilisé à des fins de tenue des registres internes à la DEA. Toutefois, l’utilisation et la vente de produits finis issus du chanvre sont légales, dans la mesure où leur teneur en THC est inférieure à un certain seuil (la plupart des produits sont importés du Canada, qui a fixé un seuil concernant la teneur en THC à 0,3 %).
Par conséquent, il semble que tant que l’extrait de CBD est dérivé de chanvre contenant moins de 0,3 % de THC, il ne soit pas illégal en vertu du droit fédéral américain. La question de savoir si l’extrait de CBD dérivé de variétés à haute teneur en THC est légal ou non dans la mesure où tout le THC a été supprimé reste floue, et maintenant que plusieurs projets de loi relatifs au CBD uniquement ont été votés (comme en Floride), la réponse peut varier d’un État à l’autre. L’association des industries du chanvre (la Hemp Industries Association) a prévenu que les fabricants d’extraits de CBD devaient absolument éviter toute réclamation sanitaire, et que la commercialisation des extraits demeurait une zone d’ombre dans la loi fédérale.
Ailleurs, le CBD est également non réglementé – à l’exception du Canada où il a été inscrit sur la liste des stupéfiants du tableau II. Les premiers traités des Nations unies sur les stupéfiants – la convention unique de 1961 sur les stupéfiants et la convention de 1972 sur les substances psychotropes – ne mentionnent pas le cannabidiol parmi les substances psychoactives.

Comment est fabriquée l’huile de chanvre à forte concentration en CBD ?

L’huile de CBD

 Bien que le terme « huile de chanvre » désigne plus probablement l’huile obtenue en pressant les graines de chanvre, le contenu en cannabinoïdes des graines est négligeable (selon l’association des industries du chanvre, les graines contiennent moins de 25 PPM de CBD, contre près de 150 000 PPM dans les fleurs et les feuilles) et elles sont donc inutiles pour la production des extraits de CBD.

L’huile de CBD issu du chanvre est en réalité une infusion de fleurs, de feuilles et de tiges de chanvre dans des huiles végétales naturelles, dont éventuellement de l’huile de graines de chanvre. Les produits au CBD issu du chanvre existent également sous forme de teinture. Dans ce cas, on utilise de l’éthanol comme solvant au lieu de l’huile ; outre du CBD, ces produits peuvent également contenir des traces d’autres cannabinoïdes, notamment du CBC, du CBG, du CBN et même du THC. Ces autres cannabinoïdes peuvent agir en synergie avec le CBD, mais les ratios varient en fonction du cultivar et des conditions de culture, et ne sont pas constants d’un produit à l’autre.

De plus en plus souvent, l’huile de CBD issu du chanvre est fabriquée en utilisant un extrait au solvant comme base. Dans ce cas, les solvants comme l’éthanol ou le CO₂ sont utilisés pour extraire le maximum de résine possible de la matière végétale. Le solvant est ensuite évaporé avant que l’extrait brut ne soit infusé dans une huile végétale pour obtenir le produit final. La composition des extraits de CBD issu du chanvre peut varier considérablement ainsi que le pourcentage global de cannabidiol, et le produit fini peut varier encore plus, en fonction du niveau et de la méthode de dilution. Généralement, il semble que la plupart des extraits contiennent entre 15 et 43 % de CBD avant d’être dilués avec de l’huile ou de l’éthanol, ainsi que des traces d’autres cannabinoïdes. L’extrait est ensuite dilué en fonction de son pourcentage de CBD pour donner un produit fini constant – en d’autres termes, un extrait à 30 % sera dilué deux fois plus qu’un extrait à 15 %.

Le CBD issu du chanvre est-il de qualité inférieure ?

Selon diverses sources, l’huile de CBD issu du chanvre serait inférieure en qualité à celle produite à partir de variétés psychoactives de cannabis. Bien que la molécule de CBD elle-même soit identique d’une variété à l’autre, le ratio global de cannabinoïde varie considérablement entre les cultivars. Si l’on aborde cette question sous l’angle de la simplicité, on peut dire que les variétés psychoactives de cannabis produisent habituellement de fortes concentrations en THC et de faibles concentrations en CBD (avec un ratio de 2:1 ou plus), alors que les variétés de chanvre produisent de fortes concentrations en CBD et de faibles concentrations en THC. Dans l’ensemble, les variétés de chanvre produisent moins de cannabinoïdes, car la production de fibre monopolise davantage d’énergie.

Toutefois, certains cannabinoïdes, au-delà du THC et du CBD, revêtent un intérêt médical bien plus grand et l’on considère que leur présence dans la résine joue un rôle complémentaire crucial dans la détermination du potentiel médical global d’une variété. Les preuves suggérant que le cannabis offre des avantages thérapeutiques notables lorsqu’on l’utilise dans le cadre de traitements basés intégralement sur la plante abondent (c’est grâce à cela que GW Pharmaceuticals a pu obtenir une autorisation de mise sur le marché pour le Sativex, qui est une simple teinture au CO₂ et à l’éthanol extraite de toutes les parties de la plante). Ainsi, tandis qu’une variété de chanvre peut contenir beaucoup de CBD, il est peu probable qu’elle offre un ratio élevé de cannabinoïdes en quantités susceptibles de soulager des patients souffrant de maladies graves telles qu’un cancer au stade avancé ou le syndrome de Dravet.

Rien ne permet d’attester l’efficacité des thérapies à base de CBD issu du chanvre

Les différentes variétés de chanvre 

 Étant donné que le cannabis médical en est encore à ses balbutiements, nous disposons de trop peu d’essais cliniques suffisamment rigoureux pour formuler des conclusions quant à l’efficacité de la phytothérapie à base de CBD. Cependant, les témoignages de réussite de ces traitements sont de plus en plus nombreux et il semble que nous disposions d’une base assez solide pour utiliser des variétés psychoactives de cannabis à forte teneur en CBD comme thérapies ciblées dans le traitement du cancer, du syndrome de Dravet et de diverses autres maladies. Ce dont nous ne disposons pas est une base solide nous permettant de suggérer que l’huile de CBD extraite des variétés de chanvre offre un potentiel médical équivalent.

 En outre, l’huile de CBD issue du cannabis médical n’est pas largement disponible, et il est impossible de s’en procurer sur E-bay ou dans les boutiques de chanvre d’Amsterdam. Le risque d’une telle situation est de voir des personnes concernées, potentiellement désespérées, ayant eu vent des succès remportés par des professionnels du cannabis médical, se lancer à la recherche de ce prétendu remède miracle, ne pas parvenir à en trouver, car il n’est pas disponible, et ne trouver à la place que des produits à base de CBD issu du chanvre à l’origine et à l’efficacité douteuses. À ce jour, rien ne semble indiquer que ces produits à base de CBD issu du chanvre aient permis de remporter un quelconque succès notable.

Les huiles de CBD issu du chanvre pourraient très bien avoir un intérêt en médecine, car il existe diverses pathologies pour lesquelles des traitements à base de cannabinoïdes isolés sont bénéfiques. Toutefois, avant que de tels produits ne soient proposés à la vente, ils doivent être traités et testés conformément à un ensemble de réglementations et normes sectorielles, comme n’importe quel autre médicament. Tant que cela n’aura pas été accompli, la vente d’huiles de CBD issu du chanvre à des fins anodines comme soulager une légère inflammation ou une douleur modérée peut être acceptable, mais vendre ces produits comme des remèdes « miracle » pour des cancers avancés, pouvant coûter des milliers de dollars pour quelques semaines de traitement, s’apparente à du mercantilisme sans vergogne.

La controverse Dixie Elixirs à propos du CBD

 
Tamar Wise
En novembre 2013, Tamar Wise, ancienne directrice scientifique de la société californienne Dixie Elixirs spécialisée dans le cannabis médical, a déclenché une controverse en affirmant sur sa page Facebook que les produits à base de CBD issu du chanvre étaient fabriqués à partir de « pâte de chanvre grossière et sale » contaminée par des microbes, des solvants résiduels et diverses autres toxines.


Elle développait en ces termes : « Je suis fatiguée de voir ces soi-disant sociétés spécialistes du CBD clamer haut et fort que les produits qu’elles fournissent sont des médicaments. Quiconque utilise un produit à base de CBD issu du chanvre doit savoir exactement de quoi il retourne, car ces produits ne sont pas du tout ce que l’on croit [sic] ». Elle affirmait également que l’huile de chanvre Real Scientific vendue par Medical Marijuana Inc. était simplement une pâte de chanvre grossière diluée dans de l’huile de graines de chanvre sans aucun raffinage, et qu’elle rédigerait très prochainement un article faisant toute la vérité à ce sujet. Le texte intégral ne tarda pas à être republié par des personnes préoccupées par cette question sur d’autres pages de réseaux sociaux traitant de ce sujet ; l’article original a été supprimé rapidement, bien que Tamar Wise ait confirmé ailleurs qu’elle en était bien l’auteure.

Ses commentaires contredisaient cependant radicalement des déclarations antérieures rédigées de sa main pendant qu’elle occupait ses fonctions de directrice scientifique, quant à la rigueur des procédures de test de Dixie Elixirs. En juillet 2012, elle écrivait que Dixie Elixirs échantillonnait et testait ses produits à trois reprises au cours de la production : d’abord la matière végétale brute était testée, ensuite l’extrait brut, et enfin le produit fini. Elle indiquait que la chromatographie liquide à haute performance était privilégiée afin d’obtenir les résultats les plus précis possible, et que la présence de contaminants microbiologiques et chimiques était vérifiée, de même que la teneur en cannabinoïdes.
Il reste maintenant à voir si l’article précité devant faire toute la lumière sur cette affaire sera publié, ou si d’éventuelles clauses de confidentialité signées lors de son emploi chez Dixie Elixirs en empêcheront la publication.

Réglementation sur les médicaments, la phytothérapie et les compléments alimentaires

À part le Sativex de GW Pharmaceuticals (et désormais l’Epidiolex), aucun autre extrait de la plante dans son intégralité n’a été homologué comme produit pharmaceutique. Les produits de GW Pharmaceuticals continuent de susciter une vive controverse, mais en tant que produits pharmaceutiques homologués on peut leur accorder une certaine confiance quant à leur constance et leur efficacité.
Malgré les nombreuses questions d’éthique soulevées par le Sativex, ce produit est au moins soumis à des procédures rigoureuses qui garantissent que des doses fixes et des quantités constantes d’ingrédients actifs sont administrées à chaque usage. On ne peut pas en dire autant de la grande majorité des produits à base de CBD issu du chanvre non approuvés et actuellement disponibles.
Partout dans le monde, des entreprises ne cessent de repousser les limites de la légalité en commercialisant des produits de santé en vente libre, et bon nombre de produits à base de CBD issu du chanvre flirtent avec ces limites. Étrangement, il semble que tant qu’une substance ou un produit n’accumule pas une mauvaise presse considérable pour ses dangers apparents (comme le cannabis synthétique, les produits d’éclaircissement de la peau ou les injections de silicone, par exemple) la nécessité de réglementer le produit n’est pas à l’ordre du jour. La probabilité que l’huile de chanvre provoque des effets secondaires graves est extrêmement faible, il y a donc peu de chances pour qu’elle s’attire les foudres de la presse. Pourtant, si des produits pour lesquels des personnes ont dépensé des milliers de dollars ne parviennent pas à les soigner, les vendre en utilisant des histoires à sensation claironnant leur efficacité est tout autant contraire à l’éthique.

Réglementations de l’UE sur la phytothérapie

 
Depuis 2011, les pays de l’UE sont tenus de mettre en œuvre un système d’enregistrement pour cataloguer les produits de l’herboristerie traditionnelle, et seuls la vente et le marketing des substances inscrites au registre sont autorisés. Une période de transition permettant aux entreprises de vendre leurs produits existants non homologués a pris fin en mai 2014.

Le cannabis et le chanvre ne figurent au registre des substances approuvées dans aucun pays (mais ils ne sont pas pour autant listés en tant que produits prohibés ou interdits) et ne sont pas désignés pour évaluation par le Comité des médicaments à base de plantes de l’Agence européenne des médicaments ; ainsi, les produits utilisant des composés actifs issus du cannabis ou du chanvre ne peuvent légalement être classés en tant que médicaments de phytothérapie.

Dans l’éventualité où les produits à base de CBD issu du chanvre seraient soumis à un examen, nous disposons d’un corpus de recherche conséquent démontrant l’utilisation récurrente du chanvre en médecine traditionnelle, et l’on pourrait facilement démontrer le bien-fondé de son inclusion dans les registres de la phytothérapie. Dans l’intérêt de légitimer cette industrie, il semble que réclamer l’inscription du chanvre sur la liste des produits de phytothérapie approuvés pourrait être un grand pas en avant. Après tout, les utilisations thérapeutiques du chanvre ne sont pas directement liées à la teneur en cannabinoïdes ; la concentration élevée de la graine en acides aminés et en acides gras essentiels est un point en sa faveur. Ensuite, si l’on parvient à prouver que le CBD issu du chanvre est aussi efficace que celui issu du cannabis psychoactif, nous disposerons d’un cadre en place pour le vendre en tant que médicament de phytothérapie conforme à la réglementation.

Quelle est la prochaine étape pour le CBD issu du chanvre et pour le cannabis médical ?

 Dans certains États (comme la Floride, qui vient de voter un projet de loi traitant uniquement du CBD) où se déroule une bataille idéologique sur le droit d’administrer du CBD aux enfants ; par exemple, autoriser « juste » le CBD signifie qu’il n’est nul besoin de légaliser le cannabis lui-même ni le THC ou autre – en particulier si le CBD est issu d’une variété de chanvre ne produisant pas de THC. Tandis que légiférer sur le CBD uniquement peut sembler une solution facile pour les législateurs – et est en tout état de cause préférable à son illégalité pure et simple –, cela ne règle pas la question du cannabis qui demeure injustement illégal, et d’autres médicaments à base de cannabis qui restent inaccessibles.

Dans les États qui ne sont dotés d’aucun programme médical ou qui ont des lois légiférant uniquement sur le CBD, à l’instar des autres pays où le cannabis médical est toujours illégal, on peut s’attendre à ce que l’huile de CBD issu du chanvre gagne en popularité alors que les succès remportés par les produits équivalents issus de variétés psychoactives continuent de donner de l’espoir à des milliers de personnes désespérées. Il se pourrait bien que l’huile de CBD issu du chanvre aide certains, voire la plupart de ceux qui l’utilisent dans une certaine mesure, mais nous ne disposons d’aucune donnée empirique nous permettant d’affirmer que c’est bien le cas. Il est d’une importance capitale que l’industrie du cannabis médical en plein essor reste bien à l’écart de tout charlatanisme, et l’existence et l’omniprésence croissante de ces produits à base de chanvre non testés ne font rien pour la légitimer.

Source : sensiseeds
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