The Silk Road reprend une ligne de code

Soft Secrets
17 Nov 2013

Le site à nouveau disponible sur le web profond


Le site à nouveau disponible sur le web profond

Capture d'écran du site The Silk Road. (DR)

RETOUR SUR

Trip. Un mois après l’arrestation de son fondateur, le site d’achat de drogues est de nouveau accessible aux initiés, sur le «web profond».

Sitôt tombé, sitôt relevé. A peine un mois après sa fermeture par le FBI, le plus important marché noir de la Toile est de retour sur ce qu’on appelle le «Web profond» (deep web). «The Silk Road renaît de ses cendres», annonce fièrement son nouvel administrateur sur la page d’accueil.

Pour rester hors d’atteinte des autorités, c’est donc dans le «Web profond» que s’est installé The Silk Road en février 2011. Un continent méconnu et peu fréquenté de l’Internet car non référencé par nos moteurs de recherche préférés. The Silk Road n’autorisait que les visites d’internautes utilisant Tor, un réseau décentralisé de routeurs organisés en «couches d’oignons», selon une structure assez complexe pour empêcher toute traçabilité.

école autrichienne. Pour franchir le seuil du sulfureux site, il faut donc un navigateur spécifiquement configuré, comme le Tor Browser, et connaître l’adresse URL du site, avec son extension en «.onion». Là s’affiche une vraie boutique en ligne, regorgeant d’appétissants produits bien rangés dans leurs différentes rubriques - bijoux (contrefaits), médicaments (Viagra et Valium), passeports lituaniens (faux), et des drogues en veux-tu en voilà. Cannabis, LSD, ecstasy, cocaïne, amphets… Il n’y a plus qu’à remplir le panier, comme sur Amazon, puis payer en Bitcoins, une monnaie électronique intraçable.

The Silk Road a longtemps été dans le collimateur des autorités américaines, et le récit de sa chute est rocambolesque. Pour démanteler un réseau si bien protégé, il a fallu attendre, comme dans les bons polars, que les criminels fassent des erreurs. Et le Texan de 29 ans qui se faisait appeler «Dread Pirate Roberts» quand il enfilait sa cape de big boss du marché noir, en a fait plusieurs. En octobre 2011, par exemple, lorsqu’il recherchait un spécialiste technique de Bitcoin sur des forums de discussion, les candidatures devaient être envoyées à l’adresse «rossulbricht@gmail.com».

A partir de ce compte Google, le FBI a vu la liste de ses vidéos favorites sur YouTube, et a découvert que ce Ross Ulbricht portait un certain intérêt à la très libérale école autrichienne d’économie. Or, les travaux de ses penseurs-clés ont justement été cités à plusieurs reprises comme les «fondements philosophiques» de The Silk Road, dont l’état d’esprit est simple à résumer : on peut tout vendre et tout acheter entre adultes consentants, tant que la marchandise n’est pas conçue pour blesser ou escroquer. La drogue, c’est bon (hum hum) ; les cartes de crédit volées, les armes et les contenus pédopornographiques, c’est pas bon. Les coïncidences étaient trop grosses, et trop nombreuses. Selon les conclusions de l’enquête, Ross Ulbricht est Dread Pirate Roberts.

Mais, après épluchage minutieux de ses courriers personnels, Ulbricht s’est avéré avoir les mains encore plus sales qu’on pouvait l’imaginer. En mars 2013, il reçoit sur The Silk Road des messages privés d’un certain «FriendlyChemist», prétendant disposer de l’adresse postale de milliers de clients de Silk Road, et demandant 500 000 dollars (370 000 euros) pour payer des dettes à son dealer, sans quoi il menace de dévoiler publiquement son listing de coordonnées. Le dealer en question se manifeste alors auprès de Dread Pirate Roberts : «C’est à nous que FriendlyChemist doit de l’argent. Vous voulez qu’on en parle ?» Quelques mails plus tard, les interlocuteurs se mettent d’accord sur le montant de 150 000 dollars pour exécuter le maître chanteur. «Son comportement est inacceptable, se justifiait le boss. En particulier ici, sur The Silk Road, l’anonymat est sacro-saint.»

«Tape taupe». Début octobre, Ross Ulbricht a été arrêté dans une bibliothèque publique de San Francisco, où il traînait au rayon science-fiction. Une poignée d’agents du FBI ont attendu qu’il allume son PC portable et y entre ses mots de passe pour surgir et les embarquer tous deux, l’homme et la machine. En deux ans et sept mois d’existence, le site The Silk Road aurait «généré des revenus de ventes pour 9,5 millions de Bitcoins et perçu plus de 600 000 Bitcoins de commissions», selon les calculs de Christopher Tarbell, agent du FBI spécialisé dans le cybercrime. Soit, en tentant compte du cours actuel du Bitcoin (très volatile), 866 millions d’euros de revenus et 54,7 millions euros de commissions.

Mais Ross Ulbricht a dû laisser les clés du site - ou du moins son code source - à quelqu’un, car la semaine dernière réapparaissait The Silk Road. «Notre communauté rebondit, plus forte que jamais, et n’oubliera jamais que, si le FBI peut saisir des sites, il ne pourra jamais arrêter notre esprit, nos idées, notre passion, sans qu’on le permette. Et on ne le permettra pas», se vante la note en page d’accueil, qui précise que le site est désormais bien plus sécurisé qu’auparavant.

Le sénateur américain Tom Carper, en charge depuis avril d’une mission sur les monnaies électroniques, se veut lucide : la renaissance de The Silk Road «souligne l’inévitable réalité d’une technologie en évolution perpétuelle. Au lieu de jouer au "tape taupe" avec les sites et monnaies qui tentent d’échapper à la loi, nous devons développer des stratégies réfléchies et souples au niveau fédéral pour protéger le public sans étouffer l’innovation et la croissance économique.» Autrement dit, les Bitcoins, par ailleurs utilisés pour des milliers de transactions quotidiennes tout à fait honnêtes, ne sont pas dans la ligne de mire.

Camille GÉVAUDAN

Source: http://www.liberation.fr
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