Le Maire de Sevran dénonce l'hypocrisie des députés français

Soft Secrets
23 Apr 2013

Interview de Stéphane Gatignon


Interview de Stéphane Gatignon

En novembre, Stéphane Gatignon, le maire Europe Ecologie-les Verts de Sevran (Seine-Saint-Denis), a fait six jours de grève de la faim devant l’Assemblée nationale pour dénoncer la situation financière de sa ville et demander aux parlementaires d’infléchir le vote du budget pour plus de solidarité en direction des communes les plus pauvres. Il publie ces jours-ci un livre (1), où il revient sur cette action et les raisons qui ont pu pousser un élu à en arriver là.


Interview Stéphane Gatignon, maire de Sevran, en Seine-Saint-Denis, lance un nouveau cri d’alarme.

Par ALICE GÉRAUD
Faut-il se mettre en grève de la faim pour se faire entendre lorsqu’on est élu d’une ville pauvre de banlieue ?

Le contexte était particulier. On était dans une impasse. On ne savait pas comment on allait finir l’année. Comment on allait payer les salaires, les entreprises… Il nous manquait 5 millions d’euros pour boucler notre budget. L’Etat nous devait 4,7 millions au titre de la rénovation urbaine. Les insomnies commençaient à se multiplier. Dans beaucoup de villes pauvres, quand on n’a plus les lignes de trésorerie, on n’a plus les remboursements de l’Etat, les banques (qui ne prêtent qu’aux riches) ne nous prêtent plus et on n’arrive plus à gérer des projets comme les constructions d’écoles. Dès juillet, j’avais vu la ministre de l’Egalité des territoires [Cécile Duflot, ndlr] pour lui expliquer la situation. En octobre, j’avais écrit aux députés. En novembre, quand arrive le vote à l’Assemblée nationale sur la dotation de solidarité nationale et les différents fonds de péréquation aux collectivités locales, il n’y avait rien d’infléchi. On était au bout du bout. L’objectif de ma grève de la faim était d’interpeller les députés sur la situation catastrophique de nos territoires.

Vous demandiez davantage de péréquation, c’est-à-dire de solidarité entre territoires pauvres et riches. Pourquoi ces mécanismes sont-ils grippés ?

On a organisé de très violentes ségrégations spatiales. On a mis le logement des riches à l’Ouest, celui des pauvres à l’Est, les entreprises de bureaux à tel endroit, les autres à un autre… Dans la zone dense parisienne, il y a tellement d’argent qui arrive, tellement de création de richesse qu’il n’y a pas de problèmes financiers. L’Est, en revanche, subit de plein fouet la désindustrialisation. L’enjeu, c’est de savoir comment la zone dense parisienne peut aider en péréquation les autres territoires. Or, il n’y a aucune construction politique autour d’une métropole parisienne qui permette d’organiser cela. Vous êtes dans un monde où chacun se bat pour son territoire, pour son bout de gras, pour être réélu. L’égoïsme local l’emporte sur tout. Ceux qui ont plein de pognon font des politiques avec plein de pognon. Si on leur demande d’en donner aux autres, ils ont peur de ne plus pouvoir faire ces politiques-là. Résultat, en Ile-de-France, le territoire où l’on paye le plus d’impôts est la Seine-Saint-Denis. Dans de grandes agglomérations comme Lyon ou même à l’étranger cela se fait autrement. Dans le grand Berlin par exemple, les richesses sont partagées.

Il y a tout juste un an, le candidat à la présidentielle François Hollande promettait de faire de la jeunesse des banlieues sa priorité. Qu’en est-il ?

Dire «mon objectif c’est la jeunesse des quartiers», ça ne veut rien dire pour moi. Au lieu de créer des zones franches ou d’inventer encore des dispositifs, faisons du droit commun, travaillons à fond sur les PME, les très petites entreprises et le commerce, car c’est là que l’emploi va se créer. Il faudrait une suppression des charges sur les boîtes de zéro à trois salariés, moins de charges jusqu’à cinq salariés… Cela représente de l’argent, certes, mais quand on voit les cadeaux qu’on fait aux grandes entreprises… C’est une mesure qui n’est pas propre aux jeunes, ni propre à la banlieue, mais qui aiderait pourtant les jeunes de banlieue à trouver du travail. Je connais des tas de petites entreprises qui, si elles n’avaient pas l’Urssaf, prendraient un ou deux salariés en plus.

Justement, parmi les mesures «phares» du gouvernement pour les banlieues, il y a les emplois d’avenir pour les jeunes non qualifiés. En avez-vous recruté ?

On va en prendre quelques-uns mais il y a un problème : on nous demande en tant que collectivité locale de ne plus embaucher et de l’autre de prendre des emplois d’avenir. 75% du salaire est pris en charge par l’Etat, le reste du salaire et la formation est à notre charge. Comment on fait ? Une collectivité locale plus riche peut prendre cinquante contrats d’avenir. Pas nous. On est toujours dans ce même cercle. Quand je dis ça à la préfecture, tout le monde regarde ses pompes. Et puis je pense qu’il y a un leurre là-dedans. Dans les ministères, on se réfère beaucoup au succès des emplois-jeunes. Mais il y a une incompréhension du moment dans lequel on vit. On n’est plus en 1998 ! On est aujourd’hui dans une société qui s’effondre.

Le ministre de la Ville, François Lamy, est en train de préparer une remise à plat de la politique de la ville, qui fête ses trente ans d’existence, en limitant notamment le nombre de zones (zones franches, zones sensibles, etc.) Est-ce la bonne approche ?

Normalement la politique de la ville doit servir des projets territoriaux, des associations, etc. Or, dans une ville comme Sevran, cela nous sert à financer des politiques municipales. Pour nous, la politique de la ville, c’est la survie. Alors que pour d’autres, c’est la chantilly sur le gâteau. François Lamy a raison de dire qu’il faut réduire le nombre de zonages. Il faut cibler, «recritériser». Il faut voir le nombre de projets qui se sont faits au fil de l’eau, parce que tel élu criait plus fort qu’un autre… Il y a aujourd’hui des territoires riches qui touchent des fonds de la politique de la ville, ce n’est pas normal. Donc, oui, il faut réduire le nombre de villes aidées et arrêter d’émietter les financements.

Comme de plus en plus de maires dont les villes sont gangrenées par le deal, vous êtes pour la légalisation du cannabis. Mais pour les parlementaires, cela reste un tabou. Pourquoi ?

Il y a deux choses : une déconnexion, bien sûr, mais aussi un aspect très moralisateur. La plupart des élus sont dans le vieux monde, avec une vision très moralisatrice. Sauf que la vie, c’est plutôt entre gris clair et gris foncé. Aujourd’hui, les élus se disent : si on est dans une position ferme là-dessus, on sera bien vus par l’opinion. Sauf qu’on ne s’en sort pas ! La France est le pays d’Europe où il y a le plus de consommateurs, c’est le seul pays où la consommation augmente chez les jeunes de 14-16 ans… Il y a un vrai problème, y compris de santé publique. Les Etats-Unis avancent sur ces questions. Pas nous. Et à côté de ça, l’Etat français continue à être le premier dealer de France en organisant le marché du tabac et de l’alcool. Je connais des députés qui sont de gros fumeurs de joints et qui continuent à refuser ce débat.

(1) En novembre, Stéphane Gatignon plantait sa tente devant l'Assemblée nationale et cessait de s'alimenter durant six jours. Il en a tiré un livre, la Bourse ou la ville!, journal d'un maire gréviste de la faim (Editions du Moment, 14,95 €).

Source: http://www.liberation.fr

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