Nouveau débat sur la dépénalisation

Soft Secrets
01 Sep 2012

Cannabis : peut-on envisager une dépénalisation ? Quatre questions au professeur Michel Reynaud


Cannabis : peut-on envisager une dépénalisation ? Quatre questions au professeur Michel Reynaud

Paris, le samedi 1er septembre 2012 – Le débat autour de la dépénalisation du cannabis fut brûlant avant l’été : déclarations à l’emporte-pièce, prises de position tranchées parfois teintées d’idéologie et argumentations (dans un sens ou dans l’autre) plus étayées se sont succédées. Le JIM a tenté d’apporter son propre éclairage sur le sujet en continuant à commenter les résultats d’études épidémiologiques menées dans ce domaine, en évoquant les propositions des uns et des autres, mais également en donnant la parole à de véritables spécialistes des addictions. Le professeur Jean Costentin avait ainsi évoqué dans ces colonnes la dangerosité du THC, élément devant indiscutablement selon lui repousser toute velléité de dépénalisation. Aujourd’hui, un point de vue et une approche très différents nous sont offerts à travers l’interview que nous a accordée le professeur Michel Reynaud, chef du département de psychiatrie et d’addictologie à l’hôpital universitaire Paul Brousse, président du Collège universitaire national des enseignants d'addictologie. Sans occulter les méfaits du cannabis chez certains consommateurs, il revient entre autres sur les possibles conséquences positives d’une dépénalisation du cannabis notamment en terme d’accès aux soins. Cependant, il demeure convaincu que la société n’est aujourd’hui pas prête à s’orienter dans une telle voie et qu’un grand travail de préparation serait nécessaire, notamment pour qu’émerge une meilleure connaissance de la dangerosité des drogues licites et illicites, connaissance qui apparaît aujourd’hui totalement faussée.

JIM : Selon vous, quelles seraient les conséquences positives ou négatives en terme de santé publique d’une dépénalisation du cannabis ?

Professeur Michel Reynaud : En terme de santé publique, je pense que personne ne peut le dire, car on ne sait pas ce que serait la consommation si le produit était dépénalisé et régulé. Car il ne s’agirait pas d’avoir une dépénalisation avec une vente en grand magasin, mais bien plutôt un contrôle d’état sur la qualité du produit (et notamment la quantité de THC). Par ailleurs, cette dépénalisation devrait s’accompagner de toute une série d’interdits qui devraient être au minimum les mêmes que ceux qui s’imposent concernant l’alcool (interdiction aux moins de 18 ans, prohibition de la consommation au volant, etc). Il y aurait donc à penser tout ça, mais on ne sait pas quel impact cela aurait sur le niveau de consommation. Les conséquences seraient essentiellement en terme de sécurité publique et d’accès aux soins.

Conséquence indirecte : rappeler la vraie dangerosité du tabac et de l’alcool

Concernant l’accès aux soins, l’interdit, les interpellations et les incarcérations liés à l’usage, voire à l’usage-revente, mettent en difficulté sociale et ne facilitent pas l’accès aux soins. Par ailleurs, l’interdit comme l’a montré une étude que nous avons faite sur la représentation sociale entraîne une surévaluation (par rapport à celle des experts) de la dangerosité du produit. Une enquête française a été réalisée sur le sujet, mais des experts internationaux s’y sont également attelés dont les résultats ont été publiés dans le Lancet, et ces conclusions viennent d’ailleurs d’être reprises dans Addictions, tandis que les travaux Français avaient eux aussi étaient publiés dans Addictions. Ces différentes études confirment tout d’abord que la classification de la dangerosité des produits est la même chez tous les experts. Les consommateurs, pour leur part, présentent une classification semblable à celle des experts. A contrario, en population générale, la dangerosité des produits illicites est très nettement surévaluée, de l’ordre de 30 à 50 %. C'est-à-dire que de fait on aboutit à une sous évaluation de la dangerosité des drogues légales et notamment de l’alcool. La communication actuelle tellement concentrée sur le danger des produits illicites tend en effet à créer une fausse perception de produits bien plus dangereux, que sont l’alcool et le tabac. Aussi, en terme de conséquences pour la santé publique, peut-être peut-on imaginer l’émergence d’une perception plus juste de la dangerosité relative de l’alcool et du tabac.

Pas d'augmentation de la fréquence des schizophrénies depuis 15 ans malgré une consommation multipliée par 3

Concernant la question de la sécurité publique, nous sommes moins compétents et c’est plutôt un débat à avoir avec les experts de la sécurité publique. Peut-on interrompre les réseaux mafieux, est-ce que cela assécherait l’économie parallèle ? La question reste posée. Il est par ailleurs certain que la loi pénalisant l’usage du cannabis n’a nullement empêché la progression de la consommation. Le fait d’avoir intensifié la pénalisation depuis 2007 n’a pas empêché au contraire l’augmentation des consommations chez les jeunes. Il y a enfin des travaux menés dans différents pays qui montrent qu’il n’y a pas de lien entre la sévérité de la loi et les quantités consommées.

JIM : Dans votre pratique clinique, avez-vous eu l’expérience de troubles psychiques associés à la consommation de cannabis ?

Professeur Michel Reynaud : Oui, très clairement. Ca aggrave la schizophrénie. Après, il y a des discussions d’experts qui vont vers une augmentation du risque d’apparition de la schizophrénie, mais il s’agit d’une augmentation modérée qui est du même ordre que celle associée au fait d’avoir des familles problématiques. Cependant, alors que la consommation de cannabis a triplé ces quinze dernières années partout dans le monde, on n’a pas assisté parallèlement à une augmentation du nombre de schizophrènes.

Maladies cardiovasculaires, risques pulmonaires, troubles dépressifs…

Ceci étant dit, nous pouvons rappeler rapidement les dangers sur la santé du cannabis, qui sont bien connus. Les plus fréquents sont les troubles motivationnels et d’intégration sociale par un ralentissement et désintérêt psychiques, ce qui entraîne des difficultés d’intégration scolaire, professionnelle et universitaire. Après, nous l’avons déjà évoqué, il y a une augmentation du risque de schizophrénie chez des sujets ayant une vulnérabilité préexistante. Il y a les risques cardiovasculaires, les risques pulmonaires, et d’autre part les troubles anxieux et dépressifs. L’accidentalité routière enfin est équivalente à celle de l’alcoolémie légale.

JIM : Quel est votre regard sur les proposition intermédiaires qui entre le tout répression et la totale libéralisation visent par exemple à transformer le délit pénal actuel en contravention tout en continuant à condamner le trafic ?

Professeur Michel Reynaud : Je pense que le choix sociétal doit se faire entre contravention et régulation. Mais la société n’en est absolument pas là. Les travaux réalisés sur la représentation des produits montrent encore à quel la point la population non consommatrice a une très grande crainte de ces produits et s’engager sans une explication sociale, sans de longues discussions parlementaires et médiatiques, c’est la certitude d’un échec. Aujourd’hui, les journalistes ne veulent savoir qu’une chose, savoir si l’on est pour ou contre la dépénalisation, or à l’heure actuelle, on ne peut être que contre. Tant qu’il n’y aura pas eu de changement des représentations, ce n’est pas la peine de contraindre une société. 

JIM : Quelles sont aujourd’hui les méthodes de prise en charge proposées ?  

Professeur Michel Reynaud : Il existe de nombreuses méthodes, qui sont des stratégies psychothérapeutiques assez classiques de traitement des addictions, basée sur des évaluations de consommation, avec des objectifs de diminution. Chez les jeunes, accueillis notamment dans les consultations jeunes consommateurs, parfaitement habituées à ce type de prise en charge, il faut pratiquement toujours faire parallèlement un travail familial.

Des pistes thérapeutiques intéressantes

Se pose également la question des traitements de substitution, mais nous n’en sommes pas là. Enfin, j’attire votre attention sur un papier intéressant qui vient de sortir sur la N-acétylcystéine (Mucomyst), déjà utilisée dans la cocaïne et qui montre avec un odd ratio de plus de 2, entre 27 et 40 % d’abstinence à huit semaines chez les patients traités par N-acétylcystéine. Il y a donc quelques pistes thérapeutiques mais qui sont rendues très difficiles, car dans la mesure où lorsqu'un produit est interdit, il est difficile de faire des essais!

Aujourd’hui, l’un des enjeux est le repérage des jeunes consommateurs, en intervenant au plus près des communautés de jeunes, sachant qu’il s’agit souvent de consommateurs à problèmes, avec des polyconsommations (comprenant notamment l’alcool).

Interview réalisée par Aurélie Haroche (les intertitres sont de la rédaction).

 

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